Ajouté le 16 mars 2007 Merci à Dom de m'avoir informé de l'existence de cette interview sur sensationrock.com Interzone (Serge Tessot-Gay, Khaled Aljaramani (17 février 2007)) Après trois jours relativement tendus et des nuits sur la même note, je roule vers Strasbourg, plus précisément vers la Laiterie. Vous l'aurez tous compris, l'intensité de mes émotions quotidiennes les jours précédents cette rencontre, est relative à l'admiration que j'ai depuis une quinzaine d'année pour le jeu de guitare de Sergio, à la fois très vivant, souple, fluide, parfois très technique, tout en étant bruitiste, mais toujours d'une finesse qui lui est propre. Je propose à Sergio et Khaled de revenir sur la façon dont ils se sont rencontrés et ont décidé de collaborer ensemble, mais également sur la manière dont ils ont réussi à mêler deux approches musicales dont références et méthodes sont en apparence très différentes. Comment ont-ils dépassé cette barrière culturelle et langagière pour créer un ensemble cohérent ? Serge: J'étais en tournée avec Noir Désir, dans les pays du Golfe, et j'entends Khaled jouer chez un pote, j'ai été captivé par sa manière de jouer, d'attaquer les cordes sur le oud, comme un instrumentiste électrique, avec quelque chose de projeté, une émotion projetée, et ses compositions que j'aimais beaucoup, donc c'est tout naturellement que je l'ai invité à jouer le lendemain, c'était à Damas, son premier concert de rock, c'était sauvage en plus! Et le lendemain après le concert, il a passé la journée avec nous, et je lui ai dit : "je reviens dans un an, c'est programmé, voyons nous si ça t'intéresse", il a dit : "pourquoi pas!". Et après, on avait envie de jouer, on avait pas le temps de parler, c'était très court, deux heures pendant quatre jours, on a branché les instruments, on avait pas besoin de parler, notre langage c'est avant tout par la musique, et c'est là qu'on s'est rencontrés. Pourquoi ça fonctionne, c'est inexplicable, pourquoi il y a une alchimie dans un groupe? C'est des paramètres qui, à mon sens sont au-delà de la raison. Après il y a des choses que tu peux identifier, comme la capacité à écouter l'autre, être en réaction par rapport à ce qu'il fait, le mettre en valeur avec ton propre instrument, et en même temps ça fonctionne dans les deux sens, inversement. Après c'est des histoires de... je sais pas... d'humanité, de correspondance...( il interpelle Khaled, l'invitant à s'exprimer sur le sujet à son tour). Khaled: Il y avait différentes matières, divers points, qui se sont rencontrés en une région, à un endroit. Je joue et connais la musique orientale et Serge le rock, c'est une chose. Et je cherchais à faire quelque chose d'autre que la musique orientale, quelque chose de nouveau, et c'est pareil pour Serge. Khaled évoque divers paramètres qu'il ne m'est pas forcément facile de traduire, pour arriver à une conclusion similaire à celle de Serge, à savoir, que cette rencontre musicale en un lieu précis n'est pas forcément explicable. Serge: Ce qui est super important c'est l'envie d'aller vers l'autre. Tu vois, lui il recherchait quelque chose qui n'était pas forcément oriental, moi quelque chose qui n'était pas forcément rock, quelque chose de différent, qu'on a fait du coup. Pourtant, sur certains morceaux de Noir Désir, il y avait déjà ce côté oriental, avec l'utilisation de gammes harmoniques où tu te ballades, par exemple sur Oublié (Tostaki, piste 3), c'est intéressant de voir l'évolution de ton jeu, dont je suis un grand fan depuis que j'ai 14 ans... Serge: Oui, t'as raison, mais j'aime ça. Dans Deuxième jour, il y a beaucoup de relief, plus de contraste que dans votre premier album, je trouverais intéressant que vous puissiez me parler de l'évolution à l'oeuvre entre ces deux disques. Serge: Le premier, on l'a composé très vite, c'était vraiment jeté, pour le deuxième, on avait plus de temps, on a fait une cinquantaine de dates en France, je suis allé plusieurs fois en Syrie, et on a composé tout le deuxième album en Syrie, et tout à la fin de la tournée, on avait vraiment besoin de ce temps pour mieux se connaître, et apprendre l'un de l'autre certaines choses, et c'est là que je peux pas te répondre, j'ai jamais appris des gammes ou des grilles d'accords des trucs comme ça, j'ai jamais fonctionné comme ça. Je les trouve par moi-même mais je n'en fais pas une règle, parce que j'en ai pas besoin ou j'en sais rien, Khaled, lui il connait tout ça, il me dit tu as un jeu ouvert en guitare, il fait des solos structurés, il y a une vraie logique dans son truc, moi j'ai pas vraiment de logique. Et jouer dans ces espaces d'ouverture, des fois c'est super casse-gueule, tu vas droit dans le mur, mais des fois tu chopes des trucs à cause d'accidents et moi j'apprends vachement des accidents en fait. Tu te fabriques tes repères à partir de ces accidents... Serge: Ouais, je me fabrique mes repère là-dessus, je retiens, donc en fait c'est super lent comme processus, mais déjà sur le premier album, je l'ai fait avec Khaled, mais avant j'aurais été incapable de faire ça, mais là ça fait longtemps que je travaille la guitare, et donc je m'suis senti capable. Non, non, c'est super intéressant qu'tu puisses en parler comme ça. Serge: Mais je sais pas trop comment en parler autrement. Après, à proprement parler du deuxième album, les invités qu'il y a, c'est des gens qu'on a rencontrés, on avait été invités pour une création à la fondation Royaumont, c'est une abbaye au nord de Paris, c'est des gens qui ont des gros moyens, ils font venir des gens du monde entier et les font jouer ensemble, ils font des créations. On s'est retrouvés, j'étais le seul instrumentiste avec 23 musiciens accoustiques, il y en avait beaucoup qui venaient du Moyen-Orient, et tous des super bêtes en plus, moi je savais pas trop où je foutais les pieds, mais après les associations se sont faites de manière naturelle, avec NOUMA la chanteuse d'opéra, Khaled la connaissait, Mohamed aussi... c'est un ami de Khaled, donc les choses se sont faites petit à petit. Et on a perçu avec tous ces gens là qui sont venus sur notre album, qu'on a des zones communes de musique, des façons de communiquer qui font que l'on prend tous du plaisir à jouer ensemble. C'est des gens qui ont fonctionné en improvisation sur le disque. On a enregistré l'album en 6 jours tous les deux, on leur a laissé des espaces, ils ont écouté les morceaux et quand ils les avaient dans la tête, ils sont arrivés devant les micros. C'est une prise, terminé, donc ça veut bien dire qu'il y a un univers, un langage commun possible. Ca peut aller très vite, mais ce qui est long, ça peut durer très longtemps ! Le truc, c''est de rencontrer les bonnes personnes, pour faire quelque chose qui marche quoi... Oui, et tu parlais d'envie tout à l'heure... Serge: Ouais, et un langage commun. A ce moment, Serge interroge Khaled sur ce que ce dernier pense qu'il appris de lui, en stipulant qu'il a appris beaucoup mais qu'il a du mal à dire quoi : "petit à petit, chaque jour, ce n'est pas dans la tête en fait..." Khaled: Des gammes orientales, des quarts de ton, et les rythmes, parcequ'il a un langage que je n'ai pas, et inversement. Des rythmes compliqués, en 9, (il se met à chanter des rythmes !). En fait, j'ai même plus besoin de poser les questions, vous y répondez avant!! Si...p't-être une petite question sur la façon dont vous travaillez... Est-ce que vous bossez des trucs pendant que vous tournez, ou alors vous bossez mutuellement des patterns à gauche à droite, ou alors c'est vraiment pendant les moments de rencontre ? Serge : Je pense que c'est différent tous les deux, parceque Khaled, il compose... On a des rythmes différents... Des rythmes de travail, ou alors des rythmes dans la zik ?? Serge: Ouais, ouais, attends, t'as raison, faut qu'je sois plus précis, par exemple on finit l'enregistrement de "Deuxième jour", moi j'étais incapable de continuer à composer en fait, et lui il continue, on avait commencé le mix, et lui il se met dans un coin, il était en train d'écrire un nouveau morceau, tu vois, je pense que c'est des rythmes différents, mais Khaled il en parlera après, de sa façon de composer. Mais moi c'est impossible, après avoir fait un album, et c'est toujours pareil, c'est impossible de composer, tu pars sur la route, et là, c'est juste, je joue ce que j'ai composé avec mes potes, et ça a toujours été comme ça, et j'ai besoin d'vachement de temps pour me retrouver, et puis j'sais pas après il y a un moment où il y a une envie qui revient, et puis à ce moment-là, tout peut aller super vite quoi. Donc, on s'est retrouvés en Syrie pour composer "Deuxième jour" et on a tout composé en dix jours. C'était un morceau par jour... Je sais pas pourquoi ça fonctionne comme ça, je peux pas te dire, mais ce dont je suis sûr, c'est que j'avais besoin de tout ce temps, de cette année de tournée avec Khaled, pour avoir des idées qui me paraissent nouvelles quoi, pour pas tricher, j'pense qu'on fait ça par nécessité en fait... Moi je compose par nécessité, donc il y a des moments, il y a rien quoi... tu vois... C'est rassurant de l'entendre de la bouche de quelqu'un comme toi!! Serge: Il y a des longues périodes où il y a rien du tout, c'est pas la peine quoi, et là en plus, comme j'ai fait en plus plein de projets différents, j'ai fini par composer pour plein de trucs différents, et là je suis hyper content parce que j'ai senti que je tirais vachement sur la corde en fait, et il y a un moment où t'es limite de reproduire des choses, si tu en fais trop. Intellectualiser, c'est faux en fait, et puis ça s'entend... Moi je trouve que ça s'entens tout de suite... Ouais, c'est plus spontané... Serge: Ouais, et tu triches, tu commence à tricher, et ça s'entend tout de suite. Tu deviens malhonnête avec toi-même, et c'est obligé que les gens l'entendent. Iy a un moment, il faut savoir s'arrêter aussi, c'est important... Oui parceque tu as fait aussi, "Zone libre" ( projet avec Marc Sens et Cyril Bilbeaud) Serge: Oui, là aussi, c'est très jeté, la composition, l'enregistrement, c'est vachement sur la corde raide tout le temps, parce que ça doit être comme ça, c'est toujours au pied du mur, Ca se ressent plus... Serge: Ouais et pourtant c'est la même façon de travailler, mais bon c'est avec des gens de la même culture que moi et c'est encore autre chose quoi... Puis Serge demandera à Khaled un éclairage sur sa propre manière de composer. Serge : C'est très simple, il y a une proposition, une idée de départ, amenée, on structure... On se partage le truc, et encore il n'y a pas trop de règles. Khaled explique que des thèmes sont amenés, articulés entre eux, élaborés ensemble, qu'il y a aussi l'improvisation. Serge: Mais tu sais, et précisément là-dessus je peux te dire quelque chose. Le thème principal, il tourne, c'est du trois temps, mais par contre, le break au milieu, c'est autre chose... C'est quoi ? (Serge demande à Khaled) Khaled: 2 Serge: Alors lui, il compose le break, et les premières fois il me dit ; "Alors qu'est-ce que t'en pense ? ", moi je lui dis que je trouve ça mortel, seulement le temps que je l'assimile, là ça paraît naturel, mais ça l'était pas du tout au début, j'arrivais jamais à compter ce putain de break... Tu y vas au feeling alors ? Serge: Non, mais c'est... et ça va te démystifier complètement le truc ! Parce que tu le refais des milliards de fois et qu'à un moment tu as compris le truc, et c'est tout !! (éclats de rire... il chante le thème). Putain j'ai mis vachement de temps à le comprendre ce truc, quand tu viens du trois temps et que tu arrives sur le deux!! Tu vois, on a fini des trucs, ça paraît naturel au bout, mais avant d'en arriver là... pareil "Requiem", j'ai demandé à... c'est quoi le morceau déjà?? "L'effroi", le septième, et le rythme, j'ai mis du temps, j'ai jamais pu le jouer du premier coup...( il chante), j'ai appris ce truc-là, j'ai demandé à Khaled de me le jouer de tête, tu vas voir le truc, c'est un thème de Khaled évidemment, moi, je lui demande (il le chante à un tempo très lent, ralenti), moi je déchiffre comme ça, parce qu'en plus, les doigts pour moi, c'est sur mars quoi!! (rires généraux!) Ca se voit quand tu joues! ... que t'es sur mars !! Serge: Maintenant ça se voit plus, mais au bout d'une journée ou deux... parfois mes doigts je les contrôle plus, je perds le contrôle, et Khaled me rattrape. Et au bout d'un moment, une fois que mes doigts le savent, je peux accélérer. On le joue à un tempo qui ressemble au morceau, et après on peut le jouer à mort, mais tu vois je lui ai fait des coups comme ça...(il s'adresse à Khaled) C'était pareil sur "Asian road", ça c'est une idée que j'avais amenée, c'est un truc qui tourne en 5, comme c'est quelque chose qui est super naturel pour toi, tu peux le faire à la vitesse que tu veux, tu l'as tout de suite, et tu peux jamais le perdre, moi je me suis dit, pour lui c'est un rythme, ça sera facile pour lui, c'est un rythme... Mais pas du tout, c'est un rythme qui n'a rien à voir avec ce qu'il utilise en Orient, et en occident non plus d'ailleurs, car c'est un rythme qui vient de nulle part en fait... C'est comme, quand pour des indiens le 4/4 Serge: Ouais, ils sont perdus c'est vrai, c'est étrange hein, comme façon d'appréhender la musique... Bon...il y a d'autres trucs dont vous souhaiteriez parler par rapport à cet album ? Serge: Non...je sais pas...( il interroge Khaled ), si tu as une annonce, si tu veux acheter une voiture, à la fin de l'interview ! Et donc là vous tournez jusqu'à quand ? Serge: Là, on a deux dates cette semaine, on joue demain, et on reprend fin mars jusqu'au 07 avril, tout le mois de novembre, et sinon, si tu veux des infos, c'est sur My Space... Sergio et Khaled nous ont amené sur une autre planète, proposant un set mariant à merveille des riffs électriques à la fois tendus et mélodieux, posés sur des rythmes syncopés, le tout entre-lassé à des lignes de oud d'une finesse et d'une précision magistrale. Interview réalisée par David Interzone, Deuxième jour ( Universal / 2007 )
|
© atonetoile.com 2004 - MG -