Ajouté le 7 avril 2007

Portrait de Jeanette, Manager de Noir Désir, vu sur rfimusique.com :

Jeanette Ruggeri, le "filtre" de Noir Désir
Portrait de manager

Bordeaux
04/04/2007 -
Jeanette Ruggeri est manageuse de Noir Désir depuis 2001. Dernier rempart du groupe, cette trentenaire se définit comme un "filtre". Qui doit savoir s’adapter et gérer la pression. Portrait de femme.

Avant l’interview, elle a un peu hésité : "Un entretien, d’accord. Mais pour quoi faire ? Pour parler de mon métier ? Je n’ai pas trop l’habitude... " Puis elle a accepté, mais a posé une condition : "Je pourrais relire l’article avant parution ? Je veux que tout soit clair, qu’il n’y ait pas de confusions ou d’ambiguïtés dans mes propos." Jeanette Ruggeri est manageuse de Noir Désir. A trente-six ans, ce petit bout de femme gère tout ce qui touche au groupe bordelais : du travail avec une association aux sympathies libertaires jusqu’à l’interview promo. "Je prends les propositions de l’extérieur, je les transmets aux membres du groupe, ils en discutent, décident ce qu’ils veulent faire ou pas. Puis, je renvoie une réponse. Le seul domaine dans lequel je n’interviens pas, c’est l’artistique : les collaborations, les choix musicaux…", explique-t-elle.

Dans l’univers de Noir Désir, Jeanette, c’est en quelque sorte la Jeanne (1) des chansons de Brassens, le physique creusé en moins. Avec elle, il faut savoir montrer patte blanche et parler clair. Elle résume : "Je suis un filtre. Tu vois un sablier. Et ben, dans le sablier, je suis au milieu." Dans son rôle de manageuse, il y a aussi pas mal de Gibraltar. A l’image du célèbre secrétaire de Georges Brassens, c’est elle qui dit non pour les quatre garçons. Elle leur évite les "emmerdes" liées au métier, prend sur elle la colère des éconduits comme les remerciements en dernière page d’une biographie (2).

Underground

La comparaison s’arrête là. A part ce côté "dernier rempart", pas grand-chose de commun entre la fille de profs "élevée dans un milieu où on avait accès à la culture", Gibraltar, le roc de Brassens ou la Jeanne. Pas la même époque, pas le même monde non plus…Jeanette rejoint ND Musique, la société de production de Noir Désir par hasard, en 2001. A l’époque, le groupe, qui travaille déjà sur l’album Des visages, des Figures, recherche un manager. Elle, officie en tant qu’assistante-femme à tout gérer au sein du label indépendant Vicious Circle (3). "On était deux à travailler là-bas, se souvient-elle. A la fin des années 90, le paysage musical était assez différent d’aujourd’hui. Il y avait plein de petites structures qui n’étaient pas forcément en règle. Je suis arrivée au moment où on s’est retrouvé dans l’obligation de tout mettre en ordre. On devait commencer à faire de vrais contrats pour les artistes et à payer la SACEM. C’était rock’n’roll."

A Bordeaux depuis1997-98, cette Lyonnaise d’origine, venue de "l’underground" ("pendant mon DESS –développement culturel–, j’ai bossé pour des théâtres, des salles de danse, mais la culture institutionnelle, ce n’est pas ma tasse de thé ") ne connaît pas vraiment les Noir Désir. "J’évoluais autour de la scène underground, j’écoutais des choses qui ne passent pas à la radio, comme Fugazi. Lorsque j’ai rencontré Noir Désir, je ne jouais pas ma vie, je n’avais pas vraiment la pression." Le premier contact se passe à Bègles, "dans les bureaux de ND Musique" ; une sorte d’appentis entre immeubles et zone industrielle. "J’ai commencé avec eux au moment des mixages du dernier album à New York avec Nick Sansano."

Pression

La nouvelle venue est attendue dans un milieu musical "où tout le monde se connaît, et où les gens –pas le groupe- vous testent". Elle doit s’adapter. Vite. Dans le même temps ou presque, il lui faut trouver sa place dans l’équipe, organiser la tournée d’été et prendre la mesure des enjeux. Elle constate : "Quand on se plante avec un petit label, les conséquences peuvent être dramatiques car c’est la survie de la structure qui est en jeu. Avec une grosse machine, ce n'est pas la même chose, mais c’est dramatique aussi. Parce qu’il y a beaucoup d’enjeux, qu’ils soient financiers ou déontologiques... "

Sollicitée de tous les côtés, c’est le portable vissé à l’oreille que Jeanette découvre la vie au sein d’une grosse écurie et la tension qui va avec. "On doit tout le temps faire le tampon. En tournée, il y a la pression du groupe, celle de l’entourage, des gens qui gravitent autour. Et en tant que manager, il faut faire attention de toujours rester à sa place. Ne pas se prendre pour l’artiste et ne pas faire sentir qu’on est aussi sous pression. C’est très enrichissant, parce qu’on fait beaucoup de belles rencontres, mais c’est fatiguant aussi, parfois usant."

Après le "bordel" lié à la sortie simultanée du double album live Noir Désir en Public et du dvd Noir Désir en images ("deux gros projets, il y a avait le son et l’image, beaucoup d’interlocuteurs, et forcément une certaine tension à un moment où les membres du groupe n’avaient pas beaucoup le temps"), un an et demi passé à manager les Wampas (d’avril 2005 jusqu’à septembre dernier), Jeanette a choisi de se laisser une respiration. Elle s’occupe d’Interzone, le projet "assez souple" du guitariste Serge Teyssot-Gay, organise en équipe la deuxième édition des Rendez-vous de Terre Neuve, le festival citoyen co-produit par ND Musique. Cela lui permet de regarder grandir sa fille et lui faire écouter, avec les larmes aux yeux, Emilie Jolie. Son "premier choc musical" !

(1) La Jeanne, Jeanne Le Bonniec, la couturière qui hébergea Georges Brassens, impasse Florimont des derniers temps de la seconde guerre mondiale jusqu’aux années 60. Connue pour son caractère bien trempé, elle éloignait les importuns qui venaient frapper à sa porte pour voir Brassens.

(2) Marc Besse Noir Désir (collection Librio).

(3) Label Bordelais créé par les auteurs du fanzine Abus Dangereux. Il compte aujourd’hui dans ses rangs les rockers américains de Bell Rays ou les rappeurs marionnettistes de Puppetmastaz.

Bastien Brun