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Ajouté le 4 août 2008

Interview Noir Désir

Lyon, Le transbordeur - Avril 1991


LYON (Transbordeur) - Avril 1991

AMBIANCE : SERGIO (tête dans le cul) BERTRAND (main bandée) NINI (chemise rouge) FRED (disparu)

Alors, cet album, "Du ciment sous les plaines" ?

Sergio : On a fait ce qu'on a envie quoi. Moi je crois que c'est le principal, faire ce qu'on a envie de faire et ceci dit on a mis pas mal de temps avant de retrouver un son qui correspondait à ce qu'on est maintenant, à tout ce qu'on a vécu jusqu'à présent, et qui font qu'on a fait cet album et que ce soit "nous".

Denis : De toute façon, je crois qu'au bout du compte il ne faut pas avoir peur de surprendre, il faut surtout avoir peur de ne pas surprendre. La mort c'est ça, c'est de ne pas surprendre.

Bertrand : A vrai dire on a ni cherché à surprendre absolument, ni à faire exactement la même chose. On a cherché à faire un disque qui correspondait à ce qu'on était à ce moment là ... D'ailleurs ça ne peut être que ça, normalement. Pour ce qui est des guitares qui sont plus saturées, ça correspond à un truc un peu plus dur, un peu plus cru, qui est dans l'esprit de tout l'album. Et donc en termes de guitares c'est souvent plus saturé.

Les doutes ... ?

Bertrand : C'est normal d'avoir des doutes, on prétend pas avoir fait l'album du siècle. Alors donc à partir de là tu dois douter, tu dois commencer déjà, sans te prendre la tête, à penser à la suite des événements, à penser aux erreurs que tu as pu faire, et .....( avec l'accent " girondins")...... à l'entraînement pour le prochain match !

O.K, parlons foot ! ... non ! Cet album, c'est une sorte de live en studio ?

Bertrand : Pas tout à fait, dans l'esprit c'est ça, dans la réalisation finalement on a un petit peu plus découpé. Les rythmiques, c'est-à-dire basse-batterie étaient enregistrées ensembles, mais ensuite on a quand même retravaillé tout un tas de trucs, plusieurs guitares. On a pris du temps pour les guitares, on a pris du temps pour les voix, etc.

Et la tournée ...

Bertrand : Quand tu commences à faire beaucoup de dates comme ça, parce que, je sais pas on en est à plus de trente depuis le début de la tournée, il y a des moments où tu perds un petit peu les morceaux, où tu perds un petit peu tout parce qu'il y a une escalade vers le haut ; tu es crevé ... Là on est revenu à un stade où on redécouvre les morceaux d'une autre manière. Ils sont transformés, ils sont pervertis par le live, complet, et ça devient encore autre chose. Maintenant on essaye de les reposer et de les refaire exploser avec leur force de base, ce qu'on peut perdre pendant les tournées, parce que t'es complètement barré, qu'on joue plus la même chose ... Mais, tout va bien !

Aujourd'hui comment est-ce que vous voyez "aux sombres héros de l'amer", avec le recul ?.

Bertrand : Ca dépend pour quoi ... C'est un bon souvenir en tant que morceau, y'a pas de problème, on l'avait fait, on l'aimait, et on l'aime toujours. On le joue plus sur scène, voilà, parce qu'on le massacrait ces derniers temps. Il y a plein de raisons, il y a d'autres morceaux à jouer donc on le joue pas en ce moment. Mais c'est un bon souvenir qui pouvait se transformer en cauchemar quand on nous a fait chier pour faire des 20h30 du style Foucault, et qu'on ne voulait pas faire, et qu'on ne voudra pas faire ! Qui étaient complètement inadaptés et qui nous rendaient malades parce que ce morceau devenait autre chose. La signification de ce morceau était complètement perdue, ça devenait une espèce de mélodie "comme ça", vue de très loin, qui occultait tout le reste du groupe, qui occultait les autres morceaux, les autres textes. Ce qu'on trimballe habituellement aussi, tout le reste. Les "Sombres héros" ne pouvait pas nous résumer. On avait l'impression que ça devenait trop important, ça occultait le reste. L'arbre qui cache la forêt ... Donc on l'a coupé. On l'a arrêté là où il devait s'arrêter, ça suffisait largement.

Denis : Tu parlais d'incertitude d'après album tout à l'heure, mais les incertitudes elles commencent là ... C'est le moment où tu vas laisser un truc sur une bande, le morceau il est gravé, t'y touches plus. Et là l'incertitude elle va commencer quand tu as éteint le magnéto.

Bertrand : A vrai dire elle commence même avant, elle commence quand tu écris les morceaux. Tu te rends compte? Déjà, tu poses quelque chose ... et chaque fois que tu poses quelque chose, y compris une pêche dans les chiottes, il faut te dire que tu laisses une trace ...(rires, sergio ouvre un oeil).... alors...ça...c'est terrible !

Sergio : Hé, c'est la vie ...

Denis : Tout le monde en est là, désolé mais bon !

Auto production ?

Bertrand : Ce qui s'est passé en fait c'est qu'on avait envie depuis un moment de faire une auto production, c'est-à-dire de tenir les rennes jusqu'au bout. Ceci dit on est pas du tout bloqué là-dessus. Je pense qui si on avait rencontré un directeur artistique pour lequel on ait craqué, ou qui ait craqué pour nous, quelqu'un avec qui le courant soit passé complètement, à cent pour cent, et de se dire voilà une expérience qui va nous pousser plus loin, on aurait probablement fait l'album avec lui. Mais ça s'est pas trouvé comme ça, donc on a saisi cette opportunité de le faire nous. On s'est pas mis à chercher des listes, ou à demander à la maison de disque de chercher des personnes. On avait pas vraiment une idée précise, on a pas rencontré de personne qui pouvait faire l'affaire, du coup on s'est complètement rabattu sur cette idée là ; ça a mûri et voilà ! Mais il n'y a pas de règle générale, on est pas devenu des adeptes forcenés de l'auto production. Il peut très bien y avoir des expériences qui te poussent ailleurs. Ce qui est important c'est d'avancer, de créer d'autres expériences, faut pas piétiner.

Le " Rock pur " ?

Bertrand : Il n'est pas question qu'on puisse se faire enfermer nulle part ! Parce que c'est la fin de tout se faire enfermer, c'est bien connu.

Sergio : Pourquoi il faut toujours avoir réponse à tout ? Tout le temps, tout le temps, tout le temps , avoir un avis, il y a des choses ....Non ! Moi c'est pareil, je me l'explique pas. Même si j'y pense, je me dis que je vais essayer d'être rationnel vraiment, non ! Je peux pas ! (rires Bertrand) Parce qu'il y a des choses qui sont impalpables, qui ne se disent pas avec des mots, je sais pas moi, ça me semble comme ça.

Bertrand : Je sais simplement qu'on peut trouver une certaine pureté dans certains groupes, on peut trouver cette force, cette urgence, dite du "rock pur" qui est indéfinissable et j'espère qu'on appartient un peu à cette race là. Mais ça ne suffit pas et ce n'est pas tout. Et de la même façon qu'on ne peut pas définir et enfermer quoi que ce soit, et nous on ne veut pas l'être, le "rock pur" ne doit pas se définir, pas s'enfermer, il doit être nourri d'influences diverses. Mais attention, pas n'importe quoi, pas pour faire de la soupe, au contraire, mais être nourri de l'extérieur ; ça ne vaut pas longtemps l'autarcie.

Votre relation forte avec la scène ...

Bertrand : Monter sur scène ça doit se faire comme se jeter à l'eau, ça ne peut pas se faire avec des demi-mesures, c'est pas possible. Donc il y a toujours un état d'urgence qui se crée naturellement, tu n'as pas besoin de te forcer. Il n'y a aucune habitude qui peut se créer là-dessus, la peur est toujours la même. Le désir de "bien faire", pour parler bêtement, est toujours là, le désir de passer à une étape "supérieure", c'est-à-dire sortir de ses gonds ; on est sur une autre planète. C'est très simple, ça n'a rien d'extraordinaire, c'est très simple mais c'est une autre planète en même temps. En répétition on est pas dans le même état non plus, on y pense mais ... tu peux pas, c'est les gens qui font ça aussi, l'électricité. On est pas tout seul, on ne vient pas jouer devant nos glaces. Mais il y a des jours où on ne doit pas réussir le coup parce que vouloir être en permanence en état d'urgence, ça veut dire que tu risque d'être tenté par la triche. Certains jours, ne pas avoir la force tout simplement physique, parce que tu es crevé, de bien rentrer dans cet état d'urgence, parce que c'est pas rationnel donc tu peux pas le calculer. Et il y a des jours où ça le fait pas, où tu as l'impression que tu es en train de tricher, et là en général il faut ... pffffftttttt ... petit retour sur soi-même pour essayer de retrouver des forces essentielles. Parce que c'est une grosse exigence de vouloir être toujours en état d'urgence.

Noir Désir n'a pas de rêve Américain ?

Bertrand : Si on a un rêve Américain, c'est que les États-Unis disparaissent ...(rires honteux). On n'a pas de rêve d'exportation, mais on espère bien jouer ailleurs et qu'il se passe des choses avec des publics de pays étrangers. On doit aller en Allemagne, on doit retourner en Italie. On ira peut-être aux États-Unis mais pas n'importe comment. Les seuls qui ont fait ça intelligemment, c'est les Thugs. Dans un circuit qui est tout petit mais au moins ça veut dire quelque chose. C'est très compliqué les États-Unis, tu demanderas à la Mano Negra ! Et puis autant il y a une mythologie, il y a une musique, tout est venu de là, y compris au niveau du blues ; ça nous a à la fois tout apporté et tout pris. On est vraiment exactement assis sur une faille, c'est pas confortable, ils nous apportent autant de débilités que de choses extraordinaires, de fond. Mais là où on en est en 1991, les États-Unis ... les États-Unis, il n'y a pas de quoi gober, il y a de quoi critiquer terriblement, surtout après ce qu'ils viennent de nous faire !

Noir Désir : "made in Bordeaux"

Bertrand : Etant donné qu'on tourne pas mal depuis des années, on a connu d'autres gens, d'autres villes, on est pas fermés sur Bordeaux. Bordeaux en plus a plein de défauts. Il y a aussi des choses bien, on a nos amis qui sont les mêmes depuis toujours et puis voilà ; ça fait que ça laisse une ligne de fond, on a des amis musiciens, des potes qui jouent dans des groupes qui ne sont pas forcement connus hors de Bordeaux. En cela on est un groupe de Bordeaux. Mais on est un petit peu à part aussi parce que, par exemple, fin mai cela fera presque deux ans et demi qu'on aura pas joué à Bordeaux. Mais par contre, notre vie c'est là aussi, tu vas au Jimmy, tu vas ailleurs ... Il y a des fois, qu'est-ce que j'en ai plein le cul de voir leurs tronches !

Denis : Il y a des jours où c'est dur !

Sergio : Non, moi je pense que c'est tout à fait humain. Et puis tant qu'on a des choses fortes en commun, des envies communes ...

Bertrand : Non moi je crois que c'est l'argent qui nous maintient ensemble ... (rires)

Denis : Comme je le dis souvent on a eu le malheur de faire construire une piscine que l'on a tous payé, et donc on ne peut pas se séparer ...

Bertrand : On est obligé de se baigner ensemble, c'est con !

Sergio : C'est lourd !

De "fils de ...", Noir Désir est devenu "Père de ..." . Le groupe Black Maria me disait en avoir marre qu'on leur colle l'étiquette " Noir Désir".

Bertrand : Probablement qu'il y a des affinités , mais bon c'est le syndrome de la presse. On leur a affublé ça et on leur laisse ça comme une chape de plomb, pfft, faut avoir du courage après pour s'en sortir. Nous aussi on nous a fait le coup. Avec de vraies influences, avec le Gun Club et il n'est absolument pas question de renier cette influence là. On a mis du temps à comprendre qu'en fait il n'y a rien à renier. On a aussi notre personnalité à nous, et eux, Black Maria c'est pas Noir Désir, c'est tout.

Sergio : Faut les laisser vivre, faut leur foutre la paix !

Denis : Pourquoi faut-il toujours que les critiques de rock arrivent avec une grande valise pleine de tampons ?






Dernière modification le 17/09/2013 à 22:15


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