Ajouté le 6 août 2008 Femme Magazine Avril 2002
Noir désir, noir amer « C’est une déesse, vous savez… et les déesses portent parfois des dentiers. » Le compliment ressemble à son auteur : Bertrand Cantat, le chanteur de Noir Désir. Il s’y mêle une ironie qui s’amuse de tout (et peut mordre parfois !), le goût des mots qui s’entrechoquent dans une étincelle de vraie provocation… et une admiration de gamin -toute en sincérité- pour Brigitte Fontaine, cette diva déglingue et zazou qui a chanté sur le dernier album du groupe, Des Visages et des figures. « Une seule prise ! » précise-t-il, pour une litanie de vingt-trois minutes intitulée L’Europe. « Il n’y avait qu’elle pour arriver à faire cela ! » Quel souvenir le public libanais conservera-t-t-il du passage à Beyrouth de ce groupe que la Mission culturelle française, organisatrice de l’événement en partenariat avec la C.D-Thèque, a un peu pompeusement sacré « groupe phare de la scène rock française » ? Il restera sans doute l’image de ce keffieh blanc et noir brandi par Bertrand Cantat pendant le concert, en signe d’un soutien sans réserve au peuple palestinien. Ce keffieh, qu’il arborait depuis longtemps comme tant de jeunes Français des années 80, en simple signe de contestation, est devenu à Beyrouth l’emblème d’un engagement politique qui semble se vouloir plus mûr, et surtout plus lucide. Ce n’est donc pas un hasard si les membres du groupe ont demandé à visiter le camp palestinien de Chatila. Un pèlerinage suivi de la visite rituelle dans le décor plus propret du Centre-ville ; ce qui fera dire à Cantat pendant le concert : « Aujourd’hui, on a pris deux ou trois baffes dans la gueule ». Et encore : « Gens de Beyrouth, il est beau votre pays : il est plein de contrastes ! » La même ironie provocatrice que le matin même au Sheraton, mais avec un peu d’amertume dans la bouche, sans doute. On aura donc beaucoup parlé politique pendant ce séjour de Noir Désir au Liban. En effet, ce n’est pas le moindre des paradoxes du groupe français : cette même société du spectacle sur laquelle Bertrand Cantat tire courageusement, a, en définitive, fait le succès de ces Bordelais passés, depuis 16 ans que le public les connaît, par pas mal de galères. Bien plus, le single tiré du dernier album Le vent nous portera, une ballade superbe mais plus consensuelle grâce à sa ligne mélodique et à la guitare de Manu Chao, leur ont acquis un public qui peinera à se reconnaître dans les textes violents et enragés, dans le rock ténébreux et outré des débuts de Noir Désir ; et cela même si cette veine plus hard se retrouve dans des titres du nouvel album comme Le grand incendie. Le public beyrouthin, partagé entre le confort des fauteuils de velours du Palais de l’Unesco et la violence rituelle des pogos, aura fait involontairement la preuve de cette ambiguïté. Au reste, lorsque sur scène Bertrand Cantat rajuste le keffieh qui s’est pris dans les cordes de sa guitare, il le fait dans un mouvement lent, ample, délibérément élégant… comme si le bon vieux rock français iconoclaste se mâtinait ici d’un reste de romantisme révolutionnaire, d’une esthétique rouge et noire empruntée à Léo Ferré et augmentée du charme charismatique de Cantat. Nul doute que celui-ci se reconnaîtra dans cette référence au vieux poète anarchiste : Léo, dont il a chanté à Beyrouth, la ville criblée, un texte somptueux : « Des armes, des chouettes, des brillantes… » Pierrick Madinier- Femme Magazine- avril 2002
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