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Ajouté le 6 août 2008

Au-Dessus Du Volcan

Rock & Folk N° 313, SEPTEMBRE 1993


Au-Dessus Du Volcan

Où s'arrêtera la Noir Dés'mania ? Leur album fait un carton (bientôt 300000 ventes), on se les arrache partout, le public en redemande. C'est un raz de marée. Mais ils continuent de faire de la résistance face au showbiz glouton, portés par un public qui se reconnaît totalement dans leur attitude. Et ils ne perdent pas une occasion d'affirmer leur différence, par exemple lorsque Bertrand dresse un panégyrique surprenant de Léo Ferré: C'était un immense poète, et on avait failli le reprendre sur notre second album. Il n' était pas spécialement rock, mais comme le rock est bourré de trucs complètement cons, ça ne me dérange pas. Les rockers étaient plus sensibles à Gainsbourg car il était plus facile d'accès. D'ailleurs, la mort de Gainsbourg a touché tout le monde, Ferré non, et ce n'est pas un hasard. Gare de Lyon, sept heures du mat'. Le temps de choper Dennis Morris, qui arrive de Londres, son attirail photographique, et hop, le TGV jusqu'à Genève. Les compartiments sont presque vides : en cette fin juillet, les vacanciers ne se bousculent pas vers la Suisse. En trois heures de trajet, j'ai tout loisir d'apprécier la campagne, la montagne puis le calme propret de l'Helvétie, mais nous ne sommes pas là pour faire du tourisme, amis lecteurs. Vingt homes en taxi pour rejoindre un hôtel coincé entre autoroute et lac de Lausanne, et là nous retrouvons les quatre Bordelais (comme les Mousquetaires, un de plus avec le manager) qui attaquent leur petit déjeuner. Toujours aussi sympas quand ils se sentent en confiance, Bertrand, Sergio, Fred et Dénis sont arrivés la veille au soir spécialement pour le concert de Neil Young qui suscite les débats : pépère somnifère avec quelques beaux restes pour les uns, monstre sacré avec quelques travers pour les autres. Trop tard pour le soundcheck qui sera annulé (et remplacé par les réglages de l'équipe technique) au grand dam des organisateurs suisses férus de ponctualité (Même Neil Young a fait une balance, vous êtes sars que vous ne voulez pas?). Les Noir Désir se contenteront d'une petite virée sur place pour reconnaître les lieux et se sustenter. Le décor du festival mêle, en un cocktail étonnamment réussi, professionnalisme (infrastructures techniques et encadrement sans faille), convivialité (pas d'espace démesurément mégalo, une formule village avec de multiples boutiques et gargotes, des animations et trois scènes distinctes) et échappées bucoliques (montagne, ruisseaux, ponts en bois et verdure). Huit mois après sa mise sur orbite Rock&Folk N0306), j'y retrouve le Noir Dés' Posse au grand complet : Marco, le manager, roi du fax, du téléphone portable et de la rigueur souriante, les technos efficaces, plus rapides que leur ombre pour flinguer un larsen ou replacer un micro, JeanPaul-rock'n'roll for ever, Sophie qui n'entend pas décrocher (même si son ventre s'arrondit) et dont la tignasse rousse et les chaussures vertes me font concurrence, Carla, la petite fée du merchandising, toute fraîche et souriante, même quand on la vanne sur son ex-désir téléphoné (Aubert). Retour à l'hôtel, série d'interviews. ils ont fait confiance à l'organisation du festival pour sélectionner les radios. Car, contrairement à une légende tenace, les Noir Dés' ne fuient pas les médias. Mais ils refusent d'en devenir les esclaves et se ménagent parfois des pauses pour respirer. Sur la tournée, on a décidé à un moment d'arrêter les interviews : on sombrait dans la routine, on tombait toujours sur les mêmes questions, on se répétait. De toute façon, Situes crevé, tu n'es plus intéressant, même Si tu tombes sur quelqu'un d'intéressant en face. Donc, il faut avoir le courage d'arrêter, quitte à passer pour un chieur. Pour expédier le tout plus vite, ils se partagent et le salon de l'hôtel devient le cadre d'un jeu de société : Sergio, Denis et Fred ont droit à l'irrésistible animateur de radio Lac, aussi rond qu'incisif, avant de scissionner pendant que Bertrand est soumis à l'étonnante interview 100% sexe de Blaise Angel pour Radio Q (une émission régulière de la très officiel-le radio FM d'état, Couleurs 3). Lui qui se plaint de la monotonie de ce genre d'exercice, va être servi : Te masturbes-tu ? Quel est le rythme de tes rapports sexuels ? Es-tu homo? Utilises-tu des préservatifs ?... Pour les petits curieux que vous êtes : oui, il se masturbe, oui, il faut se préserver même s'il l'oublie parfois, non, il n'est pas homo mais il n'a rien contre. Quant au rythme de ses ébats, il est aussi chaotique que celui des tournées, n'en déplaise au mythe des groupies voraces et à la légende des rockers perpétuellement entre décibels et coïts). Ensuite, ils se prêtent volontiers à une première séance photos en plein air avec Dénis - en qui ils retrouvent avec intérêt l'ex-chanteur de Basement 5 (J'ai encore un disque à la maison). ils recommenceront le soir sur un petit chemin de campagne, avec projo improvisé (les phares de leur van). Et comme ils sont de bonne composition, ils acceptent volontiers de parler de ce Tostaky Tour qui a électrisé nos contrées. Contrairement à nos prévisions, nous avons aligné une centaine de concerts. Notre logique nous poignarde dans le dos, puisque nous avions exigé des salles à capacité moyenne qui nous ont obligé à doubler certains concerts. A l'avenir, nous ne savons pas quelle sera notre stratégie : nous ne pouvons pas être aveugles et ignorer tous ceux qui sont restés dehors. Si on doit faire des grandes salles, il s'agira peut-être de mini festivals avec d'autres groupes. Mais nous ne savons pas ce qui peut se passer, la prochaine tournée n'est pas pour demain et n'aura peut-être jamais lieu... Les festivals dans lesquels nous jouons pour terminer correspondent à une autre dimension. C'est quitte ou double. Quand ça marche vraiment bien, nous éprouvons d'autres sensations que dans les salles. L'électricité que dégage le public est démultipliée. Il est incroyable avec nous et, certains soirs, il nous relance. Nous, nous sommes rarement contents de nous... alors heureusement qu'il est là !

Comme ils ne jouent qu a minuit, inutile de speeder. Repas facultatif et décontracté au restau. La serveuse, hardie représentante de l'ordre helvète, pète les plombs quand nous passons la commande : elle tient à l'agencement classique (entrée-puis-plat-principal), mais certains ne prennent qu'une entrée, d'autres un seul plat, sans oublier les adeptes de deux entrées. 22 heures GMT, retour à Nyon. Les Noir Dés' sont excités comme des puces et on sent qu'ils ont envie de bouffer du lion. D'abord, un groupe qui se chauffe avec Motörhead ou Rage Against The Machine à fond la caisse sur l'autoroute, ne saurait tricher sur sa crédibilité rock. Quand nous arrivons, le terrain est noir de monde (25 000 personnes) et Michel Jonasz achève triomphalement son triomphal show sur la grande scène qu'ils vont bientôt occuper (l'éclectisme du Paleo est à ce prix). Evidemment, on est bien loin des groupes qui assurent leur première partie. En tournée, par principe, on exige une première partie. Dans la moitié des cas, les organisateurs choisissent, le reste du temps, nous amenons le groupe et nous lui assurons un cachet décent (5 000 F, nous sortons 3 000 F sur notre cachet et l'organisateur le reste), un temps de passage conséquent et les mêmes conditions techniques que nous. Nous avons tenu à ce que ces groupes assurent une dizaine de dates pour bénéficier déjà d'un embryon de tournée. Nous en avons sélectionné quatre : Dirty Hands (Angers), City Kids (Le Havre), Shredded Hermines (Nevers) et Burning Heads (Orléans). Leurs démarches sont différentes mais nous les apprécions tous humainement et/ ou musicalement. Tout s'est bien passé nous avons eu de vraies rencontres et le public a joué le jeu, sauf au début où il avait tendance à nous réclamer. Ces groupes avaient tous des problèmes avec les maisons de disques. Depuis, deux d'entre eux ont vu leur situation s'améliorer. Heureusement, car ces premières parties étaient une façon de montrer aux médias et au business que nous ne sommes pas seuls. Nous sommes fiers d'avoir agi ainsi, mais nous trouvons cette attitude normale et nous ne comprenons pas qu'elle ne soit pas systématique chez tous ceux qui ont la possibilité de l'imposer.

Minuit, l'heure du crime ? Non, l'Heure de Noir Désir ! Pour ce qui sera l'un des concerts les plus étonnants qu'il m'ait été donné de voir (et j'en ai une bonne flopée au compteur !). Entre "La Rage" et "En Route Pour La Joie", la tension ne se calmera que rarement. En attendant une régulation technique (son de basse inapproprié, résonances, effets stéréo intempestifs), les premiers morceaux sonnent résolument Garage, sales et impulsifs ("Here It Comes"). Bertrand se déchaîne d'entrée de jeu, comme pour contredire mes remarques de l'après-midi sur son statisme lors de leur second Olympia : J' étais figé à cause d'un article à la con, je n'étais pas bien, je n'avais pas envie de monter sur scène. J' avais bien chanté, mais tout le monde s'en fout je suis condamné à faire le fou. Remarque, Si je n'avais pas habitué le public à me voir sauter partout, il ne l'attendrait pas... En cours de tournée, tout évolue et la fatigue peut intervenir, alors on a droit à tous les cas de figures certains soirs, Sergio était figé à son tour, et il y a même eu un concert où Fred a levé le bras gauche ! Après ce départ survolté, il n'arrêtera pas, en l'air, à genoux, à droite, à gauche, parvenant à habiter sans peine l'immense plateau : pas de problèmes, les Noir Dés' savent occuper une grande scène malgré leur attachement aux petites structures. Les rythmiques sont toujours aussi efficaces que simples, et Sergio fait des merveilles avec sa rugissante guitare en liberté. Pourtant, on les sent perturbés par le son des retours et par quelques incidents. D'une manière incongrue, dans cet univers clean et sage où pas un papier ne traîne (inimaginable en France !), et où même les pogoteurs se laissent délicatement la place pour respirer, quelques petits malins prennent Bertrand pour cible et lui balancent des chaussures. Ça commence comme une plaisanterie. Lui, il les renvoie d'un shoot magistral et ça manque se terminer en drame quand il en morfle une en pleine face et interrompt aussi sec le morceau en cours. Va-t-il mettre les bouts ? Non, il repart de plus belle après une spéciale dédicace au connard de service, ne craignant pas de s'exposer à l'avant-scène. Il n'y aura pas de suite, mais le malaise est presque palpable. Ce qui n'est pas pour nous gêner, au contraire: le malaise n'est-il pas l'une des composantes essentielles de l'univers du groupe ? Très inégal, le show évolue entre foirage et triomphe, entre psychodrame et tuerie noisy. Avec des retombées (délires parfois longuets, sifflets quand ils tardent à revenir pour les rappels) et des moments de bravoure à tomber le cul par terre : "Sober Song" poignant, "Tostaky" complètement sur le fil du rasoir, chavirant la foule à la mi-temps, "La Chaleur" douche écossaise, "En Route Pour La Joie" spasmodique et halluciné. Sans oublier les reprises refaçonnées avec brio "Long Time Man" reptilien et "I Want You" névrotique.

Les morceaux ont évolué, leurs climats ont pris de l'envergure et accentuent leur aspect obsessionnel, hypnotique. Ouverts à de multiples impros, les morceaux palpitent et donnent une réjouissante Impression de musique en liberté, au prix de véritables moments de grâce. On a progressé sur cette tournée, ce qui prouve qu'on arrive à gérer un peu notre histoire musicale. L'interprétation, notamment celle des reprises, s'est étoffée ou simplifiée. Des angles ont été adoptés, certains aspects se sont libérés, des breaks se sont créés par accident avant d'être systématisés. Quand ça réussit, c' est plus costaud, plus charpenté, plus en rapport avec des musiques qu'on a toujours aimées mais qui n'ont jamais été représentées dans ce qu'on faisait, par exemple les références black. Mais nul ne pourrait les soupçonner de la moindre concession, et, quand il le faut, ils bastonnent comme de beaux diables. Loin de mettre de l'eau dans leur vin, ils s'affirment de plus en plus rock et incisifs. En se durcissant, leur lyrisme est devenu une véritable machine de guerre. Au delà de leurs nombreux fans, ils prennent une bonne partie du public par surprise (après Jonasz, le choc est rude) et le laissent sonné, estomaqué.

Pour Noir Dés', cette tournée marathon aura permis de préserver l'équilibre interne, et leur bonne humeur en témoigne Il y a deux ans, quand la pression a monté, on n'a pas compris car on n'a pas eu le temps de comprendre. Cette fois, on s'y est préparé psychologiquement et ça nous a aidés. D'autant que nous avons maintenant des acquis avec notre maison de disques et notre tourneur . ils nous connaissent et n'insistent plus quand on dit non. Nous imposons des limites et une éthique, et nous ne sommes pas les seuls dans ce cas. Quitte à passer pour des cons quand nous refusons des plans juteux. On nous dit : "Tu joues vingt minutes pour vingt briques, une brique la minute, le contexte tu t' en fous, ou alors tu as trente briques, y'a Nescafé mais tu t' en fous." Ben non, on ne s'en fout pas. On ne peut pas échapper à la pub, on n'est pas naïfs, mais trop c'est trop.

Si les hommes sont plus équilibrés sur scène ils expriment de mieux en mieux cette fêlure, ce malaise, ce désespoir et cette rage qui restent à la base du rock véritable. Leur stratégie de la tension s'est affirmée pour être de plus en plus incisive et efficace. Laissant à d'autres le goût de la fiesta, eux s'abandonnent avec passion aux exorcismes cinglants et frénétiques. Les gros concerts qui vont clôturer cette tournée mémorable et épique devraient être des plébiscites grandioses (quoique, avec eux, on ne soit jamais sûr de rien, et c'est pour ça qu'on les aime). D'ailleurs, rien ne les affole. Ni cette expérience début septembre en banlieue toulousaine : A l'initiative de Zebda et l'asso Vite Ecrit, on participe à une semaine d'activités diverses avec Yvette Horner, des rappers, la Mano, les Satellites. On jouera une fois pour que dalle, et on restera quatre jours pour participer aux animations. Ni le rendez-vous géant de la Fête de l'Huma qui va être marrant : certains aspects vont nous énerver, mais on préférera jouer là que dans bien d'autres endroits. Ni leur programmation au Bol d'Or, dans la foulée des choix heavy des années précédentes (Iron Maiden, Megadeth). Nous le faisons par curiosité, pour découvrir ce qu'est un public de motards en 93. Dans le groupe, seul Denis a une Harley, mais nous conservons des souvenirs des années 70 où la moto était connectée avec la musique. Nous voulons vérifier Si c'est toujours le cas, et je crois que l'expérience va être marrante. D'ailleurs, nous amenons avec nous deux groupes qui dégagent bien. Inutile de jouer les étonnés : sans rentrer dans leur créneau, les Noir Désir ont de quoi séduire les amateurs de hard. Ne sont-ils pas l'un des groupes plus purs et durs de l'hexagone? Le rendez-vous suisse m'a définitivement convaincu : cette tournée les a rendus incontournables pour tous les amateurs de rage sonore.

H.M.

Rock & Folk N° 313, SEPTEMBRE 1993





Dernière modification le 17/09/2013 à 22:16


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