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Ajouté le 6 août 2008

Interview Noir désir

Rock Sound Décembre 94



Interview de Noir désir

paru dans Rock Sound Décembre 94

Oslo, Bergen, Trondheim en plein mois de Novembre, ça aurait pu ressembler à une punition. Pas pour Noir Désir. Toujours à la recherche du Graal sonique, le groupe de Bertrand Cantat met le cap au septentrion, s'impose une ascèse et cherche la réponse dans les eaux sombres des fjords. Impressions de tournée.

Glucides. Affamé. Giorgio, sans mot dire, tartine depuis une bonne dizaine de minutes du fromage frais parfumé à la mandarine (!) tantôt sur des crackers, tantôt sur des chips. Sans trop se préoccuper du goût de l'ensemble car il est tard et Giorgio a faim. Giorgio, c'est Giorgio Canali, l'ingénieur du son de Noir Désir. Blond, italien, un accent charmeur, Canali trompe l'angoisse de l'avant-concert à l'aide de quelques glucides et d'une bière. Autour de lui, dans la loge, au quatrième étage d'un immeuble d'Oslo au rez-de-chaussée duquel se trouve une ancienne salle de cinéma reconvertie en salle de concert, le Sentrum, la famille Noir Dez s'affaire, blague, patiente, mange, boit et attend l'heure. Une vague tension est perceptible. Noir Désir et la Norvège, ce n'est pas encore une longue histoire, mais c'est en train de le devenir. C'est la deuxième fois que les Bordelais se risquent au pays des vikings et du saumon fumé. Et même si leur notoriété reste modeste, ils ne sont plus tout à fait des inconnus. Jean-Marc Gouault, le manager du team Aquitain, explique volontiers que cette tournée de l'Europe du Nord est essentiellement destinée à promouvoir le groupe et sa musique en Allemagne et que la Norvège est plutôt un périple récréatif souhaité par les musiciens qui apprécient particulièrement la Scandinavie. Néanmoins, la compilation sobrement intitulée "Noir Désir" (sans les accents) concoctée par le label allemand Metronome à partir des albums "Tostaky" et "Dies Irae" (contenant un inédit tout de même "Back to you" qui jadis avait ensoleillé le projet "Enragez-vous") est présente dans les bacs des disquaires norvégiens. Jean-Marc (Marco pour le groupe !) s'inquiète d'ailleurs que celle-ci ne soit pas trop massivement importée en France, le groupe la trouvant bien trop chère et pas franchement nécessaire.

Bertrand. Denis Barthe, batteur sympathique et enjoué, un vieux tee-shirt noir de Mush sur le dos fait le premier son entrée dans la loge. Poignées de mains franches et directes, regards roués mais accueillants. Bonne pioche : les trois jours avec Noir Désir seront à l'image de ce premier contact, vrais, généreux et francs du collier. Arrivent ensuite Fred Vidalenc, bassiste sec et noueux responsable avec Denis d'une bonne partie de ce groove gothique et grave qui a fait la réputation du groupe et Bertrand Cantat, figure de proue du navire, personnage mi-adolescent mi-gourou qui affiche une forme insolente après un mois et demi de tournée automnale. A l'image de son attitude en scène, Fred est discret, presque laconique et si ce n'était son manifique tee-shirt rouge de A Subtle Plague (groupe qui rentre bientôt dans les studios des Noirdez pour le premier album que les Bordelais créé à l'occasion), dont le dos assure "Kalifornia must be punished", on l'oublierait presque. D'autant que Bertrand est là. Et Bertrand dans le privé comme sur scène fait le spectacle. Bertrand parle, s'enthousiasme, rit, plaisante, s’intéresse à tout et à tous. Bouge sans cesse. Et l'on comprend en une fraction de seconde, le formidable attrait que ce grand type, taillé en triathlète exerce sur les foules féminines et masculines. Cantat est vivant, redoutablement vivant. Une étonnante énergie virile, animale, quasi thermique émane de lui. Grand frère, amant, aventurier, beau gosse, ami exclusif porte-parole, témoin de son temps (il récuserait probablement tous les termes !), Cantat est un concentré de plusieurs personnages fantasmés, tous plus scientifiquement fascinants les uns que les autres. Quelque part, Cantat, c'est Kessel, Mac Orlan, Cendrars, Brel et Errol Flynn en un seul et même personnage, animé par l'envie d'en découdre, la rage au coeur et une Telecaster à la main.

Clara et les chics types. L'équipe autour du groupe est unie et solidaire. Cela saute aux yeux. C'est même plus qu'une équipe, une famille, si le terme n'est pas trop galvaudé. Une famille, un gang de cousins du même âge plutôt qui se retrouveraient pendant les vacances à le campagne pour des virées champêtres et casse-cou, du lever au coucher du soleil. Genoux écorchés, épaules fourbues mais saine fatigue, les mirettes pleines de souvenirs. JP et Dominique, les backliners attitrés, Antoine le régisseur, Clara, jeune et frêle responsable du merchandising que tout le monde couve, plus quelques amis venus faire en Norvège, un bout de route avec le plus crédible des groupes de rock français. Ce soir à Oslo, Noir Désir joue en troisième partie de soirée après The Bucks, un groupe irlandais emmené par Terry Woods, un ancien Pogues, et Ride, le groupe belle-gueule d'Oxford co-dirigé dans un bel ensemble paranoïaque par un Andy Bell ridiculement lunetté et un Mark Gardener totalement tête-à-claques. A l'origine, les Bordelais devaient assurer le premier gig de cette soirée organisée en soutien au "oui" au référendum du 28 novembre sur l'adhésion de la Norvège à la Communauté Européenne. Mais après tractations, Noir Désir a finalement obtenu la fin de soirée. Pas envie de servir la soupe aux rosbifs ? Il doit y avoir un peu de ça.

Saloperies d'Anglais. Le Sentrum kino est un vieux cinéma à balcon, kitsch à souhait dont la déco capitonnée évoque selon l'humeur rock'n'rollienne le vieux canapé 60's de tante Janine ou l'ampli Vox, millésime 63. Un endroit adéquat en tout cas pour une bonne soirée houblon/décibels. Comme il fallait s'y attendre, la moitié des chevelus pro-britanniques qui constituaient la majorité de l'assistance de ce mercredi soir a déserté les lieux lorsque Noir Désir entre en scène au environ de minuit pour son set de quarante minutes. L'air de rien, l'audience clairsemée et un peu froide déstabilise les français qui assènent pourtant sans un mot et avec conviction, "La rage", "Here it comes", "Ici Paris" et "Le fleuve". Le son est bon, moyennement fort, la prestation professionnelle avec un Bertrand en transe dès le deuxième titre. Le chiqué, la demi-mesure, Cantat ne la connait pas. Il joue simplement, tout entier à son sujet. Tout comme Serge (Teyssot-Gay, le guitariste) le plus remarquable instumentiste-sauteur depuis Joe Strummer et peut-être Pete Towsend. Sergio est apparu, oeil mi-clos, barbe de deux jours et cheveux en épis, trente minutes avant le concert. Un look de hushpuppie qui ne laisse en rien présager son extrême compétence à la six cordes et de la tension qu'il insuffle au groupe au groupe en scène. Bertrand entreprend le public en anglais et en français. "Merci à ceux qui sont restés bien que nous ne soyons pas anglais !" ironise-t'il. Des sifflets montent de la salle et aussi un méchant "Ferme-la et joue !" dans un français impeccable. Gros à parier que pas mal de français d'Oslo ont fait le déplacement du Sentrum kino ce soir ! Bertrand se retourne brusquement et son Vox AC 30 émet un violent larsen. Il avise son ampli goguenard et lâche "Qu'est-ce-que je disais ! Saloperies d'anglais !" . Rires. "It spurts", "Sober song", "The holy economic war", des filles du premier rang après avoir brandi des slogans moitié français, moitié français bulgare du style "Ecoutes-moi, j'ai un désir, noir ou blanc, j'm'en fous, de te faire un bisou... blanc !!!" en direction du chanteur, les expédient sur scène pliés en quatre. Bertrand les remarque à peine. Démobilisé. La machine semble grippée tout-à-coup, la musique se fait précipitée, heurtée, les Noir Dez ne sont pas à l'aise et ont raisonnablement envie d'en finir. Le coeur n'y est plus et les Bordelais marchent au coeur, c'est patent. Cantat casse deux cordes sur le même morceau et ne songe même pas à changer de guitare, c'est un signe. "La chaleur" puis "Tostaky" (très attendu par le public, un hit est un hit ! Même en Norvège... ) viendront clore la prestation juste avant un rappel expéditif constitué de "Lolita nie en bloc" et de "I want you" chipée aux Beatles.

Cercle polaire. Retour dans la loge. Pas de prise de tête. Il y a des jours sans, c'est comme ça. Oslo 94 ne restera pas dans les annales, peu importe, les Noir Dez ont en vu d'autres. L'atmosphère est même étonnamment détendue après le show. Bertrand donne une interview délirante à une fille de radio Paris-Oslo dont le français appliqué a du mal a gérer les volte-faces humoristiques mais sans méchanceté du chanteur. A Clara qui se plaint que la vente de tee-shirts n'ait pas beaucoup connue beaucoup d'intérêt, Marco répond en riant qu'elle n'avait qu'à envoyer se faire foutre les connards qui lui demandait des tee-shirts de Ride et que il y aura de quoi se rattraper sur les deux concerts suivants à Bergen et Trondheim. Marco raconte que les responsables locaux de Polygram lui ont même annoncé une foule importante à Trondheim dans quatre jours. Il se marre et ajoute "c'est parce qu'aucun groupe de rock n'est assez dingue pour aller à Trondheim à cette époque". Hilarité générale. Il est vrai que Trondheim n'est qu'à cent cinquante kilomètres du cercle polaire...

Deux heures et demi du matin, Ride quitte sa loge. Idha Ovelius, gracile silhouette, précède comme de juste Andy Bell dans les escaliers, Gardener, lui, reste invisible. D'un groupe à l'autre, on se marmonne des "Bye" et des "See you" aussi sincères qu'un grand coup de latte dans les tibias. Tous les Dez rejoignent le tour bus pour une traversée nocturne et transversale d'est en ouest de la Norvège. Direction Bergen. Personne n'a vraiment sommeil et une fois son sac déposé dans sa couchette, chacun revient vers l'avant du bus, "le salon", pour discuter un peu en mangeant un sandwich. Bertrand glisse le dernier disque des Palace Brothers, puis celui de Deus, dans la platine laser du bord. Parfait pour la conduite de nuit sauf en cas de déprime carabinée... Sergio se laisse aller à quelque confidences musicales, avoue réécouter encore et encore le "Remain in light" des Talking Heads et note scrupuleusement le nom des Latin Playboys dont quelqu'un vient de lui conseiller l'achat. JP, plus pragmatique, est en train de régler son compte au pot de Nutella. Quelques cigarettes et autant de Coca Cola plus tard, la fatigue prend le dessus et petit à petit tout le monde déserte le carré pour les bras de Morphée. Dodo.

Nutella. Terry est un vieil habitué des tournées rock. Avec son immense bus, il a fait plusieurs fois le tour de la Norvège notamment avec Roxette. Et rien que ça, ça force le respect... Terry est anglais, comme son bus. La quarantaine, des moustaches de Major, il a un beau jour décidé de laisser son job de routier pour celui plus peinard de conducteur de tour bus. Il faut dire qu'en une douzaine d'années derrière le volant de son bahut, Terry a tout vu, tout vécu et que les aventures du style "Cent mille dollars au soleil" au fin fond de l'Asie Mineure ou de l'Afghanistan, il en a un peu soupé. La Norvège, même au mois de novembre et de nuit, à côté, c'est carrément le Club Med. Terry a conduit toute la nuit, deux arrêts tout au plus pour pisser et boire un thé. Et à neuf heures du matin, l'animal est encore frais comme un gardon. Le "salon" est vide, tout le monde dort encore. Le jour n'est pas encore véritablement levé. La route, ou ce que nous en devinons est superbe, vallées encaissées, fjords, tunnels interminables, petites bicoques de bois, rouges ou vertes, de l'herbe jusque sur les toits, dépaysement garanti. Terry ne traîne pas, Bergen est encore à 160kms et il n'a droit qu'à neuf heures de conduite d'affilée. Pas une de plus, la Police est impitoyable ici... Dominique émerge enfin et propose de faire du café, une proposition qui fait instantanément sortir JP et Giorgio de leur trous respectifs. Comme on dit dans ce cas-là, Giorgio n'est pas vraiment du matin... Bourry, quoi. Il feuillette en grommelant les pages chroniques de Rock Sound et lâche "C'est quand on lit un magazine qu'on se rend compte le nombre de merdes qui sortent chaque mois !" Fin de l'analyse transalpine. Ca ira mieux après le café. JP qui a repris le siège méthodique du pot de Nutella entrepris la veille est plus loquace. Il insiste sur les liens qui l'unissent depuis longtemps à Noir Désir et l'on sent bien que ça dépasse largement le cadre d'un simple job. Quand il ne tourne pas avec les Bordelais, JP a un autre groupe/famille, les Thugs, sur lesquels il ne tarit pas d'éloges. Comment ne pas lui donner raison... Un autre Dominique Revert, un des patrons des d'Alias, le tourneur des Dez, rejoint à son tour le carré et se plonge dans une lecture aussi assidue qu'inexplicable (pour un mec qui se réveille) d'un canard du style Ca m'intéresse. Quelque fois cependant, il saura s'extraire de sa passionnante lecture notamment pour confirmer la présence de Blur en première partie de R.E.M. dans les concerts français en plein air de l'été prochain. Merci Dominique. Et puis Bertrand apparaît. Et croyez-le ou non, le bus s'anime instantanément !

"Mourir m'enrhume". Cantat siffle un Coke en guise de petit dèj', expédie le dernier Frank Black au fond du mange-disque et déclare tout-à-trac son respect pour l'ancien Pixie. Et puis il s'assoit pour tailler une bavette sur "Dalva" le bouquin de Jim Harrison qu'il vient de lire et qui l'a estomaqué. Cantat connaissait Fante mais pas Harrison. La discussion s'anime alors sur la nécessité de lire aussi James Crumley, Tom McGuane ou Richard Brautigan, autres fleurons de la littérature américaine contemporaine. "Je ne suis pas très tourné vers l'Amérique en ce moment, plutôt vers l'Est..." admet le chanteur avec un sourire entendu. Comprenne qui pourra... Cantat préfère nettement insister sur la grande qualité du bouquin d'Eric Chevillard, "Mourir m'enrhume" aux éditions de Minuit (1987 ndr) qu'il vient aussi de terminer et sur le fait qu'il vient de se remettre à la lecture des "Frères Karamazov". Là-dessus l'homme se lève et file se préparer un thé qu'il sucrera abondamment à l'aide de miel puisé dans un seau de cinq kilos type Pâte Arma. "Ce n'est pas de ma faute, c'est une copine de Vendée qui nous a offert ce miel juste avant la tournée" se justifie-t'il, dans un éclat de rire.

Puis la conversation reprend sur Pulp que Bertrand ne connaît pas et sur le Reading 94: "Il pleuvait comme d'habitude ?" . Puis enfin sur Therapy? que le chanteur avoue avoir un peu perdu de vue depuis l'album "Nurse" mais dont il semble penser le plus grand bien. Pendant ce temps, l’excellent album de dEus, "Worst case scenario" mâche menues les enceintes du bus, pour la seconde fois.

Money for nothing. L’arrivée à Bergen vers midi a de quoi laisser perplexe le voyageur peu habitué aux tribulations septentrionales en automne. Nuages, brume, fine pluie perforante et surtout luminosité proche de celle obtenue en éclairant la grotte de Lascaux à la bougie. Les Norvégiens ne semblent absolument pas gênés par ces journées rikiki qui commencent à dix heures du matin pour royalement se terminer vers seize heures. Les Norvégiens sont même un peuple étonnamment affable et accueillant. Et on comprend tout à coup ce qui peut donner l’envie à un groupe de rock de tourner ici en cette saison. Une bonne petite claque aux idées reçues ne fait pas de mal de temps à autres... A peine descendu du bus pour rejoindre l’Hôtel Rica, Giorgio est déjà en proie à des soucis. Un petit malin mais vrai contrfacteur utilise indûment depuis quelque temps déjà son numéro de carte Visa pour règler ses achats dans des boutiques de luxe. Hier chez Vuitton à Zurich, aujourd’hui chez Hermès à Londres lui annonce sa banque sur le fax de l’hôtel. De quoi devenir totalement parano. Giorgio lui, reste cool et assure que ce qui l’emmerde le plus est que l’escroc ait à ce point des goûts de chiottes et de parvenu. Rires. Tout le monde se réfugie dans sa chambre pour un peu de repos (le bus, ce n’est quand même pas tout à fait ça !) et rendez-vous est pris dès quatorze heures pour faire des photos du groupe sur le port avant que la nuit (!) ne tombe. Une scéance de pose sympathique émaillée de dégustations sauvages de saumon fumé et de quelques crises de fou-rire. Et surtout assortie de trois confirmations, celles de la gentillesse, de la politesse et de l’intégrité de quatre musiciens exemplaires. C’set dit, cochon qui s’en dédit, comme le proclamait le message loufoque laissé hier sur un paperboard de la loge d’Oslo par un Girgio définitivement espiègle.

Saumon. Le shox de ce soir se déroule dans un club du centre-ville à deux pas de l’hôtel, The Garage. Un pub à l’étage, un club en sous-sol, bas de plafond, vaste et sombre, un grand déversoir à bière faisant face à une scène exigue mais propre à créer une osmose entre groupe et public. Quelque chose entre le Golf Drouot et le Marquee. Sur la fin de l’après-midi le groupe a effectué sa balance, visiblement avec quelques difficultés si l’on en juge par la mine de Giorgio. L’absence d’ingénieur du son aux retours de son aux retours de scène semble même être un vrai problème. Vers vingt heures trente, tout le monde se retrouve dans le restaurant de l’hôtel pour un dîner de poisson sous toutes ses formes, mousse, terrine, fûmé, bouilli, frit. C’est aussi ça la Norvège, une civilisation entière bâtie autour du poiscaille. Pendant le repas, une conversation bon enfant, roule sur les sujets les plus divers. Bertrand n’est pas là, il s’est fait conduire chez un chiropracteur à cause d’un mal au dos douloureusement persistant. Marco et Dominique de Alias piquent un fou-rire gratuit en se souvenant du concert gratuit de Noir Désir que la Ville de Bordeaux voulait offrir à ses administrateurs pour le 14 juillet, il y a deux ans et qui a failli tourner à la farce. Les services techniques de la ville refusant par exemple d’installer des loges et des toilettes pour les musiciens sous prétexte qu’ils étaient de Bordeaux ! Marco en a encore les larmes aux yeux lorsqu’il raconte cette galère et les quiproquos invraissemblables qui l’émaillèrent. Mais il redevient tout à fait sèrieux lorsqu’il évoque son refus catégorique et celui du groupe de voir les chansons de Noir Désir confiées à un type, vaguement DJ, qui voulait les remixer "dance" à destination du marché anglais. Et par là subir le même sort que l’infortuné quoique consentant Stephan Eicher. Le manager rappelle à ce propos la colère qui l’avait étranglé lorsqu’il s’était aperçu qu’un réseau FM français avait fait lui-même un montage de "Tostaky" parce que la chanson était trop longue à diffuser telle quelle. On croit rêver.

Le Garage. Onze heures trente, le groupe est en scène. Et dès le premier titre, on devine que le concert de ce soir sera de grande tenue. Ce soir, après la petite déconvenue d’Oslo, le groupe a quelque chose à prouver à lui-même. Et après tout, n’est-ce-pas pour jouer dans des clubs, dans une formule presque rudimentaire, pour se prouver un truc, qu’ils sont venus ici, en Norvège ! Comme prévu, l’audience est froide et attentiste au début du show. Un réserve nordique que Bertrand et Sergio par une exploitation méthodique de chaque centimètre carré de la scène et que tout le groupe par la production d’un son compact et rentre-dedans feront tomber dès le troisième titre. Pas mal de spectateurs présents au Garage sont venus par le bouche-à-oreille et attirés par l’étiquette de "France’s best groove band" vantée par les affiches. D’autres sont venus par fidélité, pour le bon souvenir laissé par les Bordelais lors de leur précédente prestation à Bergen. Le concert, sensiblement plus long que celui d’Oslo permet au groupe d’installer durablement l’atmosphère si typique des prestations live de Noir Désir. Ce mélange détonnant et unique de grande messe païenne, de laboratoire sonique, de sculpture sur bruit, de transe, d’instants d’apesenteur d’une inouie finesse. "Alice", "Les écorchés", "one trip one noise", "Marlène", "Long time man", "What I need" viennent avec justesse compléter la play liste d’Oslo dans des versions justes, graves, épurées. En un mot poétiques. En un ultime rappel, les Dez reviendront devant ce public finalement conquis à la sueur et à la sincérité avec une reprise inattendue, "Comin’ out" des chers Replacements, qui signe avec élégance, intelligence et surtout une impéccable logique leur lettre de rock’n’roll. CQFD. Un fois la tension du concert évacuée, il est temps de demander aux musiciens de bien vouloir dresser un bilan de ces deux dernières années d’activité forcenée et de leur vision des choses. Bertrand et Fred décapsulent leur bière, Denis s’assoit en tailleur et Sergio avale quelques pistaches. Ils sont prêts.

Quel a été votre désir au commencement de cette tournée européenne ? Cela tient à quoi ? Une nécéssité commerciale, un plaisir ?

Bertrand : On ne sera jamais guidé par une nécessité commerciale...

Cela peut faire partie d’une nécessité disons contractuelle...

Bertrand : Non, ce n’était pas quelque chose de prévu à l’avance. Il y a un moment quand tu dis oui, il vaut mieux tenir son engagement, mais en tout étât de cause, ce n’est pas vraiment quelque chose qu’on a fixé depuis très longtemps. Et puis cela dépend des pays, tu vois, en Allemagne c’était un peu plus suivi par la maison de disques. C’est comme ça...

Denis : c’est quelque chose de motivant pour chacun d’entre-nous. Cela change de la tournée française et cela permet de jouer dans des clubs, ce qu’on a du mal à faire chez nous. On commence toujours une tournée française par dix ou quinze clubs, ce sont des dates complètes, des dates qui amènent que la tournée soit complète aussi.Faire des salles combles, c’est super, évidemment, mais se trouver dans un endroit où le public ne te connaît pas, où les gens ne jugent qu’avec leurs oreilles, il y a un petit peu une mise en danger. Bien sûr, il nous arrive des trucs comme hier soir à Oslo où les gens sont venus pour Ride et puis se sont barrés pour moitié. Cette moitié, il faut qu’on se la mange. Il faut qu’on soit lucide. Là on se confronte à un public qui ne nous connaît pas. On a l’habitude de se confronter à un public qui a dix ans d’histoires avec nous, on voulait casser la facilité...

Vous avez voulu retrouver des sensations perdues avec votre notoriété en France...

Denis : Il y a des sensations qu’on a plus en France. Lorsqu’on fait des clubs, on est obligés de ne pas trop l’annoncer à l’avance. Une fois annoncé, c’est déja complet. C’est bien mais on joue devannt un public conquis. Ca te booste, ça te provoque d’autres choses. Aujourd’hui c’est autrement bien que de se confronter à des gens qui ne connaissent pas le groupe. Ce sont comme deux gifles, pan ! pan !

Ce sont des gens qui ne connaissent pas la langue...

Denis : Ni le groupe, ni la langue. Il ne manque plus qu’ils soient sourds et on y est ! C’est terrible en réalité !

Bertrand : En général, ce sont de bonnes expériences mais, pour être tout a fait honnête, comme on ne joue pas vraiment de nouveaux morceaux, tu n’as pas le désir de venir faire ça avec des morceaux que toi même tu découvres. Ici, on ne les découvre pas. Ici, on est en fin de course de nos morceaux plus qu’en début. Avec les clubs, on a l’habitude, depuis un bon moment, de les faire en début de course. Donc, il y a peut-être un tout petit peu moins d’intérêt.

Au fur et à mesure, plus le groupe a eu une démarche artistique très cohérente, plus vos références musicales semblent s’être diluées. Est-ce une démarche conscient où cela s’est-il fait naturellement ?

Sergio : Les deux. Je ne sais pas vraiment...

Denis : Si c’est gommer ses références pour être plus nous, c’estparfais quoi. Si c’est gommer ses références pour perdre ses racines... J ne pense pas que nos références soient nos racines.

Sergio : Tu vas fort quand même !

Denis : Je ne fais jamais de demi-mesures...

Quelles différences tu fais entre tes racines et tes références ?

Bertrand : Il y a les racines, elles sont... plutôt, elles étaient déjà multiples. Ca n’a jamais éété analysable par nous-mêmes déjà. A partir de là, intervient une vie naturelle, une vie qui paradoxalement forge les uns avec les autres. On se cherche et les choses évoluent nécessairement. Par exemple, si j’insiste sur ce point précis et cette tournée qui se finit dans trois concerts, c’est qu’on ne jouera plus avec ces morceaux-là. La suite des événements, c’est que certains morceaux seront introduits dans un répertoire. Il y a un besoin impératifs de notre part de faire autre chose, donc d’évoluer encore. Et là, peut-être que, mais j’en sais rien, des racines te paraîteront plus évidentes à toi à un moment donné. Tu pourras te dire, tiensça m’étonnerait fort que cela te rapelle vraiment quoii que ce soit, à vrai dire.

Mon sentiment, c’est qu’aujourd’hui, ça rappelle plus du tout quoi que ce soit... Cette démarche en France me semble exceptionnelle.

Bertrand : Peut-être elle l’est ne serait-ce que parce que les gens ne durent pas.

Sergio : C’est vachement important ça.






Dernière modification le 17/09/2013 à 22:16


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