Ajouté le 6 août 2008 Noir Désir, Jour de colère Rock Sound - Mars 1994
Jour de colère La tournée devait faire cinquante dates. C’était sûr. C’était fixé à l’avance. Cinquante dates et terminé. Avec finalement six mois sur la route et cent-vingt-sept concerts, elle aura plus que doublé les objectifs de départ. Tout cela parce que les Noir Désir sont des chieurs. Des empêcheurs de tournée en rond justement. Au lieu de simplifier le travail à tout le monde, et à eux-mêmes d’abord, ils ont tenu à ne pas dépasser les trois mille personnes par salle. A imposer des prix bas. Et donc ont été conduits à doubler, voire tripler les dates dans certaines villes, tant la demande était importante. Deux ans qu’ils n’avaient pas pris la route.
Et tout devait débuter par les petites salles, les clubs avec le bouche à oreille comme seul pub, "pour renvoyer l’ascenseur à ceux qui nous ont soutenus dès le début ". Ce furent plus d’une douzaine de dates entre deux cents cinquante et trois cents personnes où le groupe "rodera " le matériel de ce qui allait devenir "dies Irae ", le premier double live de son histoire. Nini, le batteur, est sans doute – avec Bertrand, le plus bavard du gang. Et tandis que les autre prennent l’air ou pouponnent (Bertrand est retourné au Mexique, Fred sur son bateau, Serge vient d’être papa ), lui ne perd pas la main en jouant avec Edgard de l’Est, duo mixte néo-réaliste bordelais, déjà présent sur l’album "Tostaky ".La scène se passe à Bordeaux, où Nini, sans domicile fixe (sic ) se remet des émotions fortes d’une tournée marathon et raconte comment s’est fait le disque qui au bout de deux semaines, avait déjà atteint les quatre-vingt-cinq mille exemplaires vendus. Sans promo. Avec juste une campagne d’affichage en forme de clin d’œil (" Noir Désir en concert le 27 janvier ", sur tous les murs du pays). Nini (de son vrai nom Denis…) : avant de partir en tournée, on a pris tous les disques, on a dressé une liste des chansons qui nous plaisaient, et on a joué en répétition. Tout enregistré aussi. Là dedans, on a dégagé ce qui passait le mieux. Il y a eu un second écrémage durant la tournée des petits clubs où on enregistrait tous les soirs, où on réécoutait tout, et où on triait encore. Mais l’idée du live est vieille parce que c’est vraiment là qu’on jette tout. On ne l’avait jamais fait par peur. Par frilosité. Et puis par manque de moyens, nous avons donc enregistré cinq concerts en multipistes, (les trois de la Cigale et les deux du Transbordeur à Lyon), et le reste en direct deux pistes, chaque soir. Et sur l’album, on trouve un mélange des deux, car plutôt que de garder une version pâle avec un son parfait, on a parfois préféré le jus de la scène en deux pistes. " Lolita nie en bloc " fait partie de ces chansons qui sont du direct live. C’était à Bordeaux, et ce n’est pas remixé. " I want you " non plus. Ca c’était à Arles, avec Franz des Young Gods à la seconde guitare. " Long time man " a été enregistré à Concarneau, en sortie de console aussi. Du pirate si tu veux. Le reste a été pris à Paris et à Lyon, et mixé, avec juste une petite réparation de cymbale, et une retouche de guitare.
Durant ces six mois, vous avez tout vu. Du petit club breton aux scène des grands festivals. C’était la douche écossaise ? Nini : C’est difficile de tout retenir, oui. Parce qu’on est passé des petits clubs, comme le miraculeux Coatclan à Morlaix, dont les murs sont couverts de photos de gens qui passent là, et on se demande comment ils y sont arrivés, parce que c’est au milieu de nulle part, jusqu’aux cent mille personnes de la Fête de l’Huma. Mais c’est vrai que pour la Bretagne, on a un faible. Sinon, pour la première fois, on a visité les pays scandinaves : Suède, Norvège et Danemark. Et puis, il y a eu ce petit club de Hongrie, phonétiquement le Tylochasa, où l’accueil a été extraordinaire, et où nous avons rencontré les Subtle Plague de San Fransisco. On est devenu copains, et ils ont ouvert pour nous le lendemain. De ces endroits autour de deux cents personnes aux scènes de l’Huma ou celles des Eurockéennes de Belfort, il y a de la marge. Dans ces soirs-là, tu as l’impression de jouer face à la mer démontée. Je ne déteste pas les grandes scènes. Ca aussi, nous en avions très peur au départ, et c’est vrai qu’il ne faut pas faire que ça. Cela ne rime à rien. Mais pour nous, c’est un moyen de décompresser. Puisque toute la tournée était complète, qu’on savait que partout, des gens allaient rester dehors ou se verraient proposer des billets au marché noir jusqu’à cinq cents francs. Car, cela s’est vu, faire des festivals nous soulageait. On savait qu’au moins là, tout le monde allait pouvoir nous voir. Et c’est quand même le but du jeu, au départ.
Il y a eu de la casse, sur cette tournée ? Nini : Pas mal, oui. Déjà, les ampli Vox, c’est de la merde. Ils ne supportent pas transport. Et puis nous. Il m’est arrivé, un soir de colère, de pulvériser la batterie. Le lendemain, je n’était pas fier, parce que par-dessus le marché, j’ai shooté dans un bloc de fer qui m’a explosé le gros orteil. C’était à Clermont-Ferrand et sans savoir pourquoi, Bertrand et moi, nous avons eu la même montée d’adrénaline. Des toms sont partis dans les premiers rangs de la foule, et sont revenus en miettes. C’était très con. Côté public, il y a eu un nez et un bras cassés, mais dans d’autres concerts. Faut comprendre que lorsque c’est un gros qui fait du stage-diving, les gens dessous ne collaborent pas beaucoup… Devine où se termine le plongeon, si tout le monde s’est écarté !
Comment vous organisez-vous pour la sécurité sur scène justement ? Nini : Localement, la sécu n’y a pas accès. Jean-Marc, le manager, demande toujours calme et correction. Et avec Antoine, il assure le " transit " des gens qui montent, en les invitant à redescendre assez vite. D’ailleurs, avec Bertrand, on avait instauré un truc qui a marché. Je lui avais dit : " Si quelqu’un t’énerve trop, t’empêche de chanter, ne te gêne pas. Tu me l’amènes, tu lui mets la tête dans la grosse caisse, ça va le guérir ! ". Il l’a fait. C’était à Bordeaux. Il y a la photo sur la pochette du disque. Le garçon a été fixé.
Vous aviez un titre pour le disque ? Nini : Non, c’est Serge qui l’a trouvé par hasard en cherchant autre chose dans le dictionnaire. Il est tombé sur " Dies irae ", et a d’abord cru à un anagramme de Noir Désir. Quand il a vu la définition : " jour de colère ", et " premiers mots de l’office des morts ", il nous l’a proposé, et ça nous a paru une très bonne idée. Parce que cette tournée a ressemblé assez à un jour de colère aussi.
Vous êtes restés vous-même tout le temps ? Nini : Justement. C’est pourquoi il faut qu’on se pose maintenant. Parce qu’à la fin, on avait une pression monstrueuse. L’impression de rentrer dans l’arène chaque soir, et ça tenait plus de la performance sportive que du concert. A certains moments, le concert nous échappait et on partait dans des trucs assez tarés. Ca donnait des choses " intéressantes ", mais on trouvait ça un peu dangereux pour nous. Dans les festivals, la sauce monte, monte, et à la fin, on était tous aux boissons de sportifs type Decathlon. Un toubib qui est venu nous consulter vers la fin de la tournée est resté tout un concert et nous a dit : c’est comme si vous faisiez un match de foot chaque soir. Ca revenait à perdre trois kilos d’eau par concert et à les reprendre après une bonne nuit de sommeil et un solide petit-déjeuner. L’organisme ramasse , c’est net. Donc, une nouvelle fois, on s’arrête, et jusqu’en juin 1994, on ne fait plus rien. Après, on verra le moment venu.
Rock Sound, Mars 94
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